MISSION PULSAR

La première prime scientifique importante fut versée à un certain Chou Yengbo. Il ne l’aurait pas gagnée s’il n’avait pas suivi quelques cours élémentaires de science avant de découvrir que pas même un diplôme universitaire ne permettait, en ce temps-là, d’obtenir un boulot décent dans la province de Shensi.

Lorsque son vaisseau sortit de la poussée ultraluminique, Chou n’eut aucun mal à déterminer le but de sa trajectoire.

En réalité, trois objets s’étendaient sous ses yeux, insolites. Le premier ne ressemblait à rien qu’il ait jamais vu, sauf en imagination. L’objet en question était une éclaboussure de lumière vaguement conique. Même sur l’écran, sa brillance faisait mal aux yeux.

Cet objet ressemblait au faisceau d’un phare perçant à travers des pans de brume. Lorsque Chou augmenta le grossissement de l’image pour mieux en voir les détails, il découvrit un deuxième faisceau plus étroit, plus faible et balayant l’espace dans la direction opposée. Et entre les deux sommets des cônes formés par ces faisceaux se profilait un troisième objet minuscule.

Lorsque Chou porta le grossissement à son maximum, il s’aperçut que c’était une petite étoile chétive et au teint maladif. En tout cas, beaucoup trop petite pour être une étoile normale. Ce fait limitait le champ des hypothèses. Il lui fallut quand même un certain temps pour comprendre qu’il se trouvait en présence d’un pulsar.

Alors sa leçon 101 d’astronomie lui revint en mémoire. Au milieu du XX^e siècle, Subrahmanyan Chandrasekhar avait établi la genèse des étoiles à neutrons. Son modèle était simple. Une grande étoile, affirmait Chandrasekhar, brûle tout son hydrogène, puis s’effondre. Elle rejette dans l’univers ses couches extérieures de matière en tant que supernova. Ce qui reste tombe vers le cœur de l’étoile presque à la vitesse de la lumière, comprimant sa masse en un volume beaucoup plus petit que celui d’une planète. En fait, plus petit que celui de certaines montagnes. Mais toujours selon les calculs de Chandrasekhar, cet effondrement ne peut arriver qu’aux grandes étoiles dont la masse est au moins supérieure de 1,4 fois à celle de notre Soleil : on appelle ce nombre la Limite de Chandrasekhar.

Une fois qu’une étoile a explosé en supernova et qu’elle s’est effondrée, l’objet qui reste est une étoile à neutrons, un corps lourd, de la taille d’un astéroïde. Son énorme gravitation l’a comprimée si violemment que les électrons de ses atomes sont contraints de s’unir aux protons, engendrant ainsi les particules électriquement neutres, dites neutrons. Cette matière est si dense qu’un centimètre cube de l’étoile pèse environ deux millions de tonnes. Imaginez que l’on comprime le plus grand des vieux réservoirs géants de la Terre jusqu’à le réduire à la taille d’une pièce de monnaie, et vous obtiendrez à peu près le même résultat. Les éléments ne quittent pas facilement une étoile à neutrons. Avec cette masse extrêmement concentrée qui retient tout à sa surface, la vitesse d’échappement approche cent vingt mille miles par seconde. Mieux encore : son énergie rotationnelle a été elle aussi « comprimée ». Ainsi, la géante bleue qui tournait sur son axe en une semaine est devenue un objet hyperlourd de la taille d’un astéroïde qui tourbillonne sur lui-même plusieurs fois par seconde.

Chou savait qu’il devait procéder à certaines observations : champ magnétique, rayons X, infrarouge et une foule d’autres analyses encore. Les étoiles à neutrons ont un noyau très fluide, si bien qu’en tournant sur elles-mêmes, elles produisent un intense champ magnétique, à l’instar de la Terre. Et en tournant comme une toupie, elles émettent des radiations. Mais ces radiations ne peuvent s’écouler de toute la surface de l’étoile en même temps. Elles ne s’échappent que des pôles magnétiques Nord et Sud.

Or les pôles magnétiques d’un objet ne se superposent pas nécessairement aux pôles de rotation. (Le pôle magnétique Nord de la Terre se trouve à des centaines de kilomètres du point où se rencontrent les méridiens de longitude.) Aussi, toute la lumière émerge d’une étoile à neutrons en deux minces faisceaux qui ne cessent de tourner, en un point tantôt proche, tantôt très lointain, de ses pôles géographiques.

Ainsi s’expliquait ce que distinguait Chou. Les deux cônes correspondaient aux faisceaux émergeant des pôles magnétiques de l’étoile. Bien sûr, Chou ne pouvait voir les faisceaux eux-mêmes. Il distinguait seulement les endroits où ceux-ci illuminaient de ténus nuages de gaz et de poussière.

L’important pour Chou était qu’aucun astronome terrien ne les avait vus de cette façon. La seule possibilité de voir les faisceaux d’une étoile à neutrons est de se trouver quelque part le long de la bordure du cône qu’ils décrivent en tournant. On aperçoit alors un clignotement si rapide et si régulier que le premier observateur à l’avoir détecté crut même qu’il s’agissait d’un signal lancé par une intelligence extraterrestre. On nomma ce signal un « P.H.V. » (pour Petits Hommes Verts) jusqu’à ce que les astronomes comprennent ce qui provoquait ce comportement stellaire.

Ces objets furent baptisés « pulsars ».

Chou obtint un bonus scientifique de quatre cent mille dollars pour sa découverte. Il n’était pas âpre au gain. Il l’accepta, puis retourna sur la Terre, où il se lança dans une nouvelle carrière : conférencier pour clubs de femmes et d’étudiants, il narrait la vie des prospecteurs de la Grande Porte. Il remporta un vif succès, car il était l’un des premiers de cette espèce à revenir vivant sur la Terre.

Par la suite, les autres eurent moins de succès. Par exemple…